samedi 25 août 2012

ALGER,sans le savoir

                                           ALGER,Sans le savoir

Tes mille faveurs, je ne les voyais guère
Si je t'aimais,c'était sans le savoir
J'étais heureuse divinement
Si protégée si entourée
mais ces joies-là que tu m'offrais
je les avais sans le savoir

Aujourd'hui,elles me sont retirées
Aujourd'hui seulement je sais
Combien riche je suis 
de ces joies d'antan.
Peut-être le bonheur présent n'existe pas 
Mais j'ai toute cette douceur triste du souvenir
Et je te remercie ALGER
Un peu trop tard ,pardonne moi
De mes grandes joies.d'autrefois

jeudi 23 août 2012

Tout, vraiment tout…Mais ….!



                               Tout, vraiment tout…Mais ….!



                                  Tous les français d’Algérie qu’on nomme sans grande précision « pieds noirs », ont depuis leur installation en France, évoqué leur terre natale avec une grande nostalgie
.
                              Beaucoup d’entre eux pourtant n’y avaient pas eu une enfance facile !), mais, en dépit de leurs grandes difficultés, souvent familiales, des écrivains tels qu’ Albert Camus, que Marie Cardinal, ou Hélène Cixous,( et il y en a eu bien d’autres ont affirmé qu’ils y étaient heureux, sur cette terre miraculeuse bleue, or, mordorée, mure, chaude, pleine de lumière…


          Et là, j’avais sous les yeux, à portée de main, toutes sortes de documents qui révélaient que tout concourait à réserver à l’ enfant, puis à la jeune algéroise que j’étais, une jeunesse idéale,  dans un décor d’exception, fait d’une nature encore préservée, propres à l’Algérie de cette époque.

Alors,comment  avait-elle pu ne  pas s’ y sentir heureuse ?
 Pourquoi n avait-elle eu de cesse de la quitter dès l’âge de 20 ans ? !
  J’ai exhumé d’anciennes photographies, je les ai disposées dans un ordre platement chronologique dans l’espoir  de comprendre
       documents  retrouvés en dépit des changements de lieux : deux cahiers datés de 1952 et 1953 dits « journal intime » et surtout une série classée de lettres écrites de Paris les mêmes années et envoyées aux siens restés à Alger jusqu’en 1959.  Quels signes , au hasard des lignes et des mots, pourront  éclairer ses obscures mais bien réelles motivations ?
Voici par exemple un extrait  du Cahier 1, daté du 11 novembre 1952, deux jours avant son départ à Paris où elle devait continuer à poursuivre  sa licence de philosophie à l’Université
 
                               Adieu lyrique à sa terre natale

Je vais  tout quitter, ma ville, ma vie et mes amis et ..moi-même !
Jeudi, j’abandonne tout et je pars pour une nouvelle vie
_Oui, ma rue dix  mille fois arpentée l’ennui au cœur,, ou vibrante et heureuse, tantôt lasse,, parfois joyeuse, jamais tout à fait présente
                                                                   Alger chérie , 
                                                                   Douce ville fade                                                                                  
                                                                  Déjà un peu étrangère
                                                                                                       Déjà ?                                                        

Oui , je dis au revoir à tous ces bons moments :les heures exaltantes  aux cours de Jules Chaix-Ruy, l’ambiance familière de la bonne bibliothèque,…les stimulants dialogues   lors des  leçons particulières de philosophie de Jean Czarnecki,  dit "le Tzar",sa voix grave et posée, sa bonté  intelligente qui s'exprimait en un fin sourire 
 Héliette, l'irremplaçable compagne et sa vitalité communicative Nous nous exaltions ensemble mais  elle savait d'un mot rétablir l'équilibre, quand mes divagations  utopiques m'éloignaient du monde réel
 Mon romantique « îlot de Guyotville » aujourd’hui tout calme et triste, ruisselant de pluie, tout en pleurs,  îlot fouetté et déchiqueté par les vents furieux, les tempêtes et la mer déchaînée , mais chaque été, au temps de mon premier amour , inondé de soleil .entouré de flots lisses et translucides, dans les clapotis et roulis des vaguelettes, sous les caresses de la brise marine, calmant les brûlures d’un rayon.
 Ilot ! Ilot cher à mon cœur, où j’ai connu mes premiers émois : magie du jazz  de la danse,  minutes de plénitude, Une silhouette chère, un être aimé, un tempo lent qui vous projette hors du temps, hors des désirs, de l’attente, des espoirs ou des regrets: enchantement d’une réalité qui surpasse en poésie le rêve, instants magiques, rythmes qui scandent les moments heureux,puis les heures les plus malheureuses de cette tranche de vie 
Au revoir ! Je vous quitte pour 6 mois !
Demain, peut-être, je serai autre, je pars vers d’autres rives  Adieu, poésie et charme de ma chambre précieuse et vieillote,
                    Et vous père et mère si chéris, comme je vais mieux vous aimer à Paris !



                                         Au clair de café noir

 Quand tu viendras chez moi, je te prendrai la main et te mènerai par la route qui descend vers l’ILOT .Nous passerons devant une austère maison à 2 étages, en face du garage où l’on tourne vers la mer. « Vois-tu cette fenêtre à barreaux au rez-de-chaussée ? Parfois le matin, quand j’allais en bicyclette acheter le pain,je voyais avec émotion une tête brune penchée sur un cahier :
Plus tard, pour m’amuser, j’ai inscrit son nom et le mien dans le couloir. Aujourd’hui ,  il n’en reste que pierres muettes et froides
Quand tu viendras chez moi, nous longerons les petites villas qui bordent l’unique route .nous verrons Josette, au pas de sa porte, mon amie depuis le début, compagne de mes premiers émois dont le frère, pianiste autodidacte me fit découvrir les rythmes importés des U.S.A.
Pour la petite bande  de ce lieu de villégiature, je fus une jeune fille curieusement grave et coquette à la fois…


Nous nous arrêterons devant notre petite maison ocre et verte qui n’est que parfum de vacances, avec son jardin , sa douche en plein air , sa grande vérandah aux fresques  couleur sépia peintes à même les murs par un ami artiste(jean Ainault) et évoquant un débarquement idyllique à Papeete),où tant de séances de ping- pong  avaient amusé toutes les générations, y compris un chat et un crapaud apprivoisé.
Puis,nous arriverons   devant la petite plage allongée en face d’un îlot rocheux et bordée à l’Ouest par la sombre presqu’île de Ras Acrata si belle au soleil couchant.
Juste en face tu verras « La Péniche », avec sa terrasse, lieu de rendez-vous général ouvert sur la mer. Là les parents venaient se délasser après les chaudes journées laborieuses et retrouver leurs progéniture occupée à jouer aux cartes au soleil de 3 heures en été, ou à écouter la superbe collection de nouveaux disques collectés par Dédé, le fils du patron. Nous gravirons les quelques marches et nous regarderons ensemble à travers les vitre embuées d’humidité que la pluie et le vent de Septembre sbattaient tristement  quand c’était si chaud et gai de savourer en musique les dernières heures de vacances avant la redoutable rentrée.
Je te prendrai la main et nous longerons cette petite route en lacets qui, après la presqu’île surplombe dangereusement les falaises et  la mer Nous descendrons jusqu’au port de la Madrague : un vrai petit port de pêcheurs comme  tout le monde en rêve,  tranquille avec ses petits bateaux de plaisance et ses barques colorées
 En plein soleil, mes amis seraient sur leurs voiliers ,au bout de la jetée, prêts à partir, et nous  embarqueraient pour nous déposer sur la plage voisine ,ou bien ils nous entraîneraient dans une folle virée sur leurs hors-bors bondissants.
Puis le soir, quand le vent tombe, que la mer se fige et luit doucement, c’est au retour des pécheurs que  nous assisterons, devant la rituelle kémia arrosée d’anisette.
Et quand tu auras goûté la paix de nos soleils couchants et le reflet joyeux  sur l’eau des loupiotes de navires blanches et rouges.  
Quand tu te seras assis sous l’arbre frais du petit jardin où je lisais  si souvent et  que nous aurons humé le poivre des œillets rouges
Quand nous aurons plongé et ruisselé mille fois,  alors seulement avec toi, je pourrai vraiment dire adieu à toutes ces choses aimées. Tu me prendras la main et tu m’emmèneras au-delà de la mer 

mercredi 22 août 2012

De la Grèce ..à l'îlot...



 De la Grèce….à l’Ilot

         Voilà un saut en Grèce qui me ramène encore à l’Algérie , à ma terre natale, et surtout à ce coin de bord de mer où nous eûmes, bien à nous pour une fois, une petite maison de vacances, pour quelques années…
Nous y avions atteint pour un temps limité, comme une apogée de bonheur de vivre, fait d’ingrédients délicieux: mer, pèche, bateaux, musique, danse, amis, tendresse…
Et puis, trop vite, le microcosme au sein duquel nous vivions en parfaite harmonie s’est dispersé.
C’est alors que nous avons osé prendre la décision brusque de nous retirer aussi. 
Comme si le rideau ne pouvait que tomber sur un décor planté là, avec des acteurs de passage,
 le temps d’une comédie légère, finissant en tragi-comédie.

                              Aujourd’hui, à Niphoreika, je viens de rencontrer un grec, prénommé Ilias, natif de Kato’Achaïa, fier descendant des Achéens,  qui vit depuis  toujours dans sa bourgade natale, malgré ses longues études à Athènes. Il a choisi d’y demeurer, d’y faire restaurer sa vieille maison et je le comprends. C’est une petite ville pauvre, mais les côtes voisines recèlent des beautés encore sauvages, 
inestimables à ses yeux.
                     Est-ce par héritage de cette sagesse grecque dont il semble à peine se souvenir qu’il  reste attaché viscéralement à la maison de ses pères ?
Alors qu’insouciante de mes liens à ma terre natale, je l’ai  quittée, comme une nomade, sans même le désir précis d’y revenir, même pas dans mes vieux jours comme Ulysse à Ithaque ;

Tout cela….
                         Posée au bord d’un chemin de plage, une petite maison ocre et verte .
              Pour un temps limité, elle a été  comme le seul lieu vraiment nôtre
  Nous y avons débordé de joies telles que    celles-là, pour  mon père, ses joies totales 
:au bout de 2 kilomètres de route en corniche: son bateau, la pêche, en compagnie du jeune  aristocrate bizarre
les retours de pêches miraculeuses au port de la Madrague, proche de  la plage aux eaux limpides
   Maroc, le gardien mystérieux au grand rire  qui offrait  le thé à la menthe, versé de très haut dans ses verres colorés
        et cela encore, la table de ping-pong où se livraient des parties fulminantes,dans un décor sépia 
 de fresques polynésiennes 
 mon  crapaud  apprivoisé, le moineau sauvé qui ne me quittait plus 
       et cela aussi l’arrosage du jardin et des corps ruisselants d’eau de mer,
et les bons vieux amis qui débarquaient chaque dimanche
               Et pour moi : à trois cent mètres, la Péniche, et nos premiers émois  orchestrés par  de  somptueux standards de jazz New Orléans  qui invitaient aux  swings hors d’haleine suivis  de tendres blues ,
              et cela encore, plus loin, au détour d’audacieuses courses à moto, l’étonnante vision  de dunes sauvages glissant vers des mirages bleutés. 
Par tout cela, vécu dans les réseaux serrés d’amitiés tissées au fil du temps
j’appartenais à ces lieux, et ils m’appartenaient pleinement…
Mais non !
car  tout cela  ne fut que prêté pour un temps  
bel et bien révolu..




mardi 21 août 2012

Algérie, terre natale


                      
    Alger, ma ville

Immergée dans les délices amniotiques de ton environnement généreux,
mer et sables fins à ma gauche, montagnes et neiges hivernales à ma droite,
entre-deux, des visages, beaucoup de visages, aimants, aimés ou séducteurs,
des chemins mille fois arpentés, des parcs et jardins de ville, des scintillements nocturnes, des quartiers inaccessibles…
 je n'avais pas su que tu étais mienne, toi, ma ville natale
 et, malgré tous les attachements que j'ai pu éprouver depuis pour d'autres lieux ...
irremplaçable !
Or, c'était l'évidence même ...Mais étrangement, la petite algéroise n'avait pas pris conscience
 d'avoir son terroir, là, sous les pieds et n'avait pas prévu qu'elle ne se sentirait sans doute jamais 
aussi totalement chez elle qu'en ces lieux-là.
 Tout s'était passé comme si elle avait vécu en union fusionnelle avec sa terre natale, celle de ses parents, de ses grands et arrière - grands- parents, sans parler de cette lignée d'ancêtres dont elle n'avait même pas songé à étudier la généalogie,
elle n'avait jamais mis entre son pays et elle cette indispensable distance qui permet de prendre la mesure d'un attachement!
        Loin de mesurer le privilège insigne de demeurer sur ses terres natales ,et de savourer tous les bonheurs que celles ci pouvaient dispenser, elle se transportait en imagination
vers l'autre rivage de la Méditerranée, et toutes ses aspirations allaient vers l'autre
patrie, si belle, et prestigieuse.
C'est ainsi que j'ai pris les devants: avant que la guerre d'Algérie se laisse
prévoir: je l'ai quittée la première, je l'ai trahie, mon irremplaçable, avant qu'elle
ne me trahisse.! J'ai laissé mes rivages brodés de flots d'azur pour une terre
d'élection; ce fut Paris. Mais je ne dirai pas, comme Andersen de sa Petite Sirène,
que chaque pas loin de ma mer d'origine me causait une secrète souffrance.

Algérie, tu restes aujourd'hui ma terre natale méconnue, mal aimée, et je
voudrais racheter mon attitude légère, insouciante, en te faisant un instant revivre
par les mots
Territoire perdu, ou plutôt abandonné volontairement? Pour m'évader de ce
que j'appelais ma cage dorée, et peut-être aussi pour échapper à un malaise
diffus, provoqué par les oscillations continuelles, dans les attitudes et les propos,
entre les démonstrations paternalistes et les marques de dédain, ou d'hostilité
envers nos frères défavorisés. Par attrait aussi pour notre Douce France ...
Nul doute que notre vénérable lycée Delacroix qui m'a façonnée de six à dix
huit ans avait parfaitement réussi une de ses missions essentielles : inculquer à
tous les enfants d'Outre Mer l'idée ou plutôt le sentiment d'appartenance à une
patrie, une seule :la France Si bien qu'en quittant mon Algérie natale, je crus
vraiment rejoindre ma patrie idéelle, plus vraie que nature ...
Et elle le fut, patrie d'adoption, elle tenait ses promesses, je m'y sentis chez
moi, aujourd'hui, je suis une citoyenne française sans équivoque, une européenne
pressée de voir les grands projets de l'union européenne s'accomplir, désireuse
  même de prendre part à ces transformations.
 
Alors, mon Algérie ?
Alger, tu es mon paradis perdu, trahi… et les êtres qui m'entouraient là-bas ne sont plus ici près de moi pour m'aider à fredonner le refrain des noms propres de mon enfance, ceux qu'on ne prononce plus: ces noms portés par les voix chères aux sonorités lointaines, dans un halo de tendresse.             .
La place Bugeaud, où je suis née, au-dessus du bar Novelty, devenue Place
d'Ysly, la rue de Tanger, et ses
« moutchous », le square Bresson et ses petits ânes
.la colline de Notre Dame d'Afrique où vivaient mes grands parents, le lycée
Delacroix, fréquenté assidûment depuis la «onzième» jusqu'au baccalauréat,
-la rue Michelet, la Faculté des Lettres, le bar de l'Otomatic, la rampe de l'Amirauté,
Bab el Oued, la salle Pierre-Borde, la rue Bab' Azoun, le Tantonville, le casino de
l'hôtel Aletti, Hydra, El biar, le Telemly les tournants Rovigo, Saint Eugène et ses
cabanons sur pilotis, les Deux Moulins..
Tous ces noms si familiers, j'ose aujourd'hui les faire résonner en échos dérisoires,
 après un si long silence.
Douce Algérie, terre prodigue! De la mer  encore  intacte, aux plages  presque désertes,
 à la neige vierge de toutes installations mécaniques jusqu'aux forêts
inexplorées, aux gorges sauvages couvertes de fleurs rares, tu nous dévoilais tes
secrets à profusion, tu nous offrais généreusement ces joies dispensées par une
nature intacte et j'en usais avec une insouciance qui provoque aujourd'hui mes
remords.
                            
  
 Mer natale
Terre natale ou plutôt «mer natale ».
Humaine privilégiée parce qu'issue de terres maritimes, j'ai pu éprouver comme une nature amphibie originelle, ressentir une plénitude physique, un bonheur total à nager dans tes eaux limpides et tièdes.
Je m'y sentais à ma vraie place, crawlant inlassablement, plongeant et remontant à
la surface sans relâche.
Certains rochers au large de mes plages habituelles, offraient un but aisément accessible
 à nos équipées nautiques. Je ne pourrai oublier l'un d'eux, à la Pointe Pescade,
où j'ai passé plusieurs étés de mon enfance: massif, escarpé, en forme de tête de chien,
 il s'étendait à cent mètres du bord sur une quarantaine de mètres et nous le contournions
souvent en barque ou en périssoire, avant de nous diriger beaucoup plus loin au Nord Est, vers «  les Deux Ilots » longues roches parallèles un peu inquiétantes entre lesquelles il nous arrivait de ramer par temps calme sur nos légères embarcations.
Mais c'est vers "la Tête de Chien" que, plusieurs fois par jour, avec mes
petites amies de plage ou mon cousin Charley, nous rivalisions de vitesse, avec d'exigeants critères de perfection dans le style, tous types de nage successivement adoptés.
Bien que ses abords fussent infestés d'oursins, nous savions les escalader
aisément. Je me souviens d'une certaine anfractuosité polie par les vagues et les
vents marins où je pouvais me lover aussi agréablement que dans un cocon
soyeux, j'y recevais les caresses solaires qui me réchauffaient après de longs ébats
marins, puis je repérais avec soin mon lieu de plongeon; car il fallait, du sommet
du rocher où nous nous élancions tête la première, presque à la verticale, viser la
mince étendue de sable blanc entourée de. roches et d'algues traîtresses: ces
fonds n'avaient plus de secret pour nous et nous savions exactement quel trajet
suivre pour revenir vers le bord en évitant une fois de plus les longues algues enchevêtrées qui
recouvraient des rocailles, des anémones de mer ou d'autres
bêtes plus visqueuses ou piquantes.
Cette connaissance intime des lieux marins, qui offrait une jouissance faite
de familiarité confiante à nos jeux enfantins les plus audacieux, je ne l'ai plus
jamais éprouvée par la suite.

Plages d’or pâle
Je dis Algérie, et c'est d'abord à vous que je pense, ô mes plages d'or pâle,
avec vos silences paradisiaques, à peine rythmés par les clapotis de mer calme
surtout par ces matins d'été torrides que j'adorais.
Je me souviens. Dès notre arrivée de la ville étouffante, nous déposions
nos vêtements avec une désinvolture étudiée sur le sable brûlant.
La surface de l'eau, lisse comme celle d'un lac, était à peine troublée par nos brefs plongeons. Extase asexuée des corps,
libérés de toute entrave, rafraîchis et pénétrés par cette amante fluide.
Nous rasions lentement les fonds, écrasés avec volupté par cette fraîche masse,
souffles retenus jusqu'à la suffocation., retardant le moment d'émerger et
d'accomplir enfin l'interminable nage qui scellerait un accord parfait avec
l'élément. originel retrouvé.
Pourquoi vous ai-je tant aimées, plages jonchées de coquillages ( hélas, nous
avons laissé ma boîte de collection!) dont je recherchais longuement des
spécimens minuscules, rares et colorés. Je me souviens de l'odeur iodée si forte
des monticules d'algues déposées par les vagues mauvaises, et des racines
blanchies aux formes tourmentées, sur ces plages modestes ou longues, souvent
presque désertes parce qu'éloignées d'Alger ,comme la plage Moretti ou celle de
Zéralda, célèbre lieu du débarquement des troupes alliées
Plages ... mer. .. Pourquoi étais je en si profonde connivence avec vous, sous
le ciel noyé de lumière? Me débarrassais-je de mes carcans de jeune bourgeoise
pétrie d'interdits, libérée de tout rite social, de toute tenue vestimentaire
révélatrice de mon appartenance familiale, le corps illusoirement rendu à une
liberté naturelle? Oui, peut-être dans l'enfance ...
Snobisme estival

Mais plus tard, il faut le dire, le charme fut en partie rompu: les signes
d'appartenance devaient se reconstituer sur certaines plages telles que la
Madrague ou Fort-de-l'eau où il était bien vu d'arriver en tenues apparemment
confortables, mais en fait d'un avant-gardisme très étudié, les premiers jean
faisant leur apparition ainsi que les shorts ultra courts, les spartiates et les bikinis
Un sport courant, le ski nautique qui impliquait l'usage de hors-bords ou de
Chris-Craft, se pratiquait déjà et même les premières planches de surf faisaient
leur apparition. Quant aux voitures décapotables style «Bonjour tristesse
», elles
rivalisaient de vitesse entre la Madrague et la ville : les pères participant souvent à
ces compétitions spontanées avec leurs Traction-Avant.
Mais ces raffinements de privilégiés étaient circonscrits à quelques établissements
balnéaires proches de la capitale. Les rivages plus éloignés, et ils étaient
nombreux, je pense à Surcouf, à Aïn- Taya, Sidi ferruch , au Cap Matifou et à tant
d'autres lieux, échappaient à ces tentations de snobisme citadin et gardaient leur
charme sauvage.
Etranges absences
Se pose alors la question de savoir pourquoi les « Indigènes »de ce pays ne
venaient jamais sur leurs propres plages, pourquoi leurs enfants ne s'ébattaient
pas dans ces eaux tièdes et tentantes :Etait-ce le port du voile, l'aversion pour le
bronzage qui accentuerait ce teint brun trop caractéristique, ou la gêne d'avoir,
eux souvent si pauvres, à être les témoins des plaisirs défendus d'heureux oisifs?
Ces motifs suffisaient à expliquer leur étrange absence de ces plages pourtant
publiques et il n'était pas nécessaire de planter dans le sable des pancartes
analogues à celles qui étaient affichées devant bien des lieux publics en Europe:,
une décennie plus tôt, pour que mes compatriotes arabes évitent d'eux-mêmes un
ostracisme prévisible.
1 ~ Méconnaissances
En fait, notre intérêt à leur égard comportait des intermittences étonnantes:
C'est ainsi qu'au lycée, nous n'avons pas eu à apprendre la langue qui était parlée
par l'immense majorité des habitants du pays. Et nos professeurs avaient omis de
nous mettre en appétit pour rechercher les clés de leur histoire.et d’un passé bien plus lointain
Dommage! Nous aurions pu scruter, au large du port d'Alger, les îlots qui
ont donné leur nom à la ville barbaresque :El Djezaïr, ainsi que les débris du fort
espagnol détruit en1529 par les corsaires turcs, Aroudj et Keireddin Barberousse,.
Le meurtre du cheikh, Selim el Teumi, gouverneur d'Alger, par ceux- là mêmes
qu'il avait appelés en renfort, inaugurait trois siècles de domination turque.
Apprendre que notre ville avait alors fondé essentiellement ses richesses sur la
piraterie officialisée, que les équipages et les passagers des vaisseaux chrétiens
pillés sous divers prétextes étaient envoyés au bagne où réduits en esclavage, que
certains de ces captifs avaient renié leur foi pour être libérés et étaient devenus
deys, m'aurait certainement transformée en observatrice attentive à toutes les
traces d'un passé complexe et fascinant!
Ces mots tracés naïvement, peu avant de quitter ma ville

            « Alger tiède et jolie, qui gâte tant qu'elle ennuie
Douce ville fade, déjà un peu étrangère, déjà?
Tu scintilles, telle un diamant de pacotille »

 témoigne de ma méconnaissance, à l'époque, de son dur passé barbaresque,
avec ses violences, qui devaient en préfigurer bien d'autres.

Notes pour un album d’images

de la Bouzaréa, magnifique belvédère à 400 mètres au- dessus d’Alger, descendent de nombreux sentiers .L’un d’eux traverse la forêt  de Baïnem, parfumée de pins , d’eucalyptus, de chênes-liège avec ses clairières recouvertes au printemps de cyclamen, de cistes et de mille fleurs sauvages lieu privilégié de  balades et de pique-nique avec nos chers amis  Jean et Marinette Bernot et leur fils Jacques.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     
Celui du «  frais Vallon » aboutit au «  Beau Fraisier » où s’élevait un vieux palais turc converti en maison de repos pour enfants J’y avais séjourné à 7 ans  après une primo infection et l’on m’y soignait en me faisant absorber d’écoeurantes gorgées de sang de cheval.. 
Eblouie par une certaine Maryse, adolescente qui s’élançait d’un bosquet à l’autre et disparaissait au détour des chemins, je quittais chaque jour  à regret le parc et ses jeux
pour de longues séances de pose avec la directrice, mademoiselle Bosserdet, artiste-peintre qui exécutait mon portrait dans un salon luxueux et feutré où le soleil filtrait à travers les stores

Les gorges de la Chiffa sont  une des curiosités de la région avec son Ruisseau des Singes
J’ai une photographie où l’un d’eux,  juché sur l’épaule de mon père ouvrait des
 cacahuètes sur son crâne !
 
 Cherchell, et, toute proche, immortalisée par Camus , Tipaza et son amphithéâtre romain furent mon  théâtre de jeux durant mon unique et mémorable colonie de vacances :nous y avions préparé
un spectacle joyeux fortement inspiré par le récent débarquement anglo- américain ;
 La plage du Chenoua avec, en toile de fond ,le mystérieux «  Tombeau de laChrétienne »,en fait tombeau royal maurétanien fut une de nos plages préférées
:

La station de Chréa, bien enneigée l'hiver, plantée de cèdres, de chênes
verts, où de jeunes marchands proposaient des oranges fraîches au bas des pistes
lieu de mes débuts en ski, et plus tard la belle station de Tikjda, encore dépourvue de remontées mécaniques, où le professeur Mandouze organisait des stages pour ses étudiants
Et tant d'autres noms, portés par la voix de ma mère, à moi seule adressés, et ressassés avec un lyrisme joyeux :
Hammam Meskoutine  dans le Constantinois, station thermale avec sa cascade aux imposants amas calcaires et ses eaux  si brûlantes qu’ on s’amusait à y cuire des œufs
, Le grand hôtel d'Hammam Rhira, d'un charme idyllique, la plaine de la Mitidja, ou avec une pointe d'inquiétude nous traversions Bordj-Bouarreridj et les sévères gorges de Palestro, sur la route de Constantine.
Parfois des noms tels que MouzaÏaville ... Birmandrès ... ,Hammam Melouan ... m'évoquent des expéditions floues, où je me laissais emmener,enjouée ou rêveuse, passive car privée
du plaisir de toute participation à l'organisation des voyages.
Installée à l'avant de la voiture, entre les deux sièges, ma position bien qu'incommode,
 m'offrait la possibilité palpitante de tenir le volant. Mais j'ai dû subir, par exemple,
 la découverte du "Bou zegza ", et ce petit bout du monde nem'a laissé d'autre souvenir
que son nom curieux.
Teniet el Haad, ce mot sonne doux à la mémoire, c'était ... , c'était. .. Oui !
Je revois un site en altitude ,avec une forêt de très vieux cèdres, en flou un
campement d'officiers de réserve, au début de la guerre,  mon père en uniforme,
 un attroupement de jeunes médecins inoccupés , empressés à soigner mon genou écorché.

                     Miliana

Ah! Miliana ! où nous étions réfugiées le temps d'une année de guerre, dans un petit  appartement. Mon père y avait  un cabinet dentaire secondaire où il  exerçait le mardi et vendredi
. Cette  ville offrit à la petite citadine « dénaturée » un terrain propice aux observations «naturalistes» avec son avenue bordée de mûriers séculaires sur lesquels se déplaçaient
 des processions de vers à soie.
A l'arrivée des grosses chaleurs , des sauterelles s'étaient abattues sur la ville et la campagne
 en nuages compacts.
               Je me souviens de l’institutrice, sévère mais  très vive, mademoiselle Redon. Visiblement enceinte, elle qui avait suscité la réprobation de  l'entourage, nous dévoilait avec complaisance les mœurs redoutables des mantes religieuses, pendant nos  sorties 
             à la campagne  et nous infligeait  indéfiniment les dissections de ces orthoptères voraces qu’étaient les sauterelles  

Et, enfin éloignée de toutes mondanités, enfin disponible, je revois ma mère toute proche,
partageant la vie simple des ménagères provinciales et allant avec moi
s'approvisionner
à bicyclette jusqu'à Margueritte, chez de bons amis épiciers., à 10 kilomètres de Miliana.
Je n'oublierai pas le soir, nous étant attardées chez eux à dîner, nous avions été
raccompagnées en carriole par une nuit d'hiver terriblement froide, sous un ciel tout constellé
d'étoiles étincelantes.


.
                    CONSTANTINE
Constantine ! J'y ai passé depuis ma plus tendre enfance toutes les vacances de Pâques.
Images précieuses et vives, ainsi la singulière maison de mes grands-parents maternels,
située au bout d'une ruelle banale, mais bâtie en surplomb au-dessus des gorges du Rhumel
et prolongée par un petit  jardin carré ouvert sur ce paysage grandiose,
 barré par le fameux  « Pont Suspendu »

                 Jasmins d’enfance à Constantine

      Colliers de jasmins ponctués d’éclatants geranium
              proposés au détour d’une rue
Ou flottant aux cous graciles de jeunes mauresques.               
        Jasmins pâles, veinés de bleu,
Enlacés aux bois patients et burinés de notre vigne familiale
       Dans le petit jardin accroché.aux flancs.des.gorges-
                       Les senteurs chaudes de ces fragiles fleurs              
               Innocentes, musulmanes, sensuelles...
Mon jasmin envié, écrasé entre des paumes moites
         Qui embaumait la lourdeur de nos siestes.

De facture orientale, la maison s'enroulait autour d'une cour intérieure pavée de
marbre blanc et décorée de mosaïques. J’en revois la disposition, avec sa grande salle à manger
<de plain-pied, aux fenêtres ouvertes sur l’extérieur, précédée d’une longue cuisine. .
<tandis que les 6 ou 7 grandes chambres se succédaient au premier étage.
<A droite de l’entrée,  on accédait en descendant quelques marches à  l’ étonnant «medjless »,
<très longue pièce obscure d'une fraîcheur constante, qui abritait les nuits de Moïse et d’Esther.
<et servait également  de réserve pour les denrées fragiles.
< 
Autre image fixée à jamais, celle de ma grand-mère.à notre arrivée rue Constantin.
Nous la découvrions, installée à sa place habituelle toute proche de l'entrée,
 parée comme une petite héroïne princière de conte oriental, avec sa coiffe pointue
 de velours sombre ornée de piécettes d'or, en forme de cône oblique retenu par une jugulaire
et sa gandourah de soie légère froncée sous un lourd corsage brodé,
De tendres paroles entremêlées de bénédictions dialectales coulaient de ses lèvres et nous nous
penchions pour l'embrasser tandis qu'elle demeurait assise, le regard humide
d'émotion, les bras tendus vers nous, avec un sourire mystique, me semblait-il.
Image pâlie, mais indélébile, sonorisée par la voix chuchotée de ma mère:

« C'était une sainte! » et plus basse encore: « morte le jour du Grand Pardon! »
Très vite, j'échappais à ce cérémonial, entourée par la troupe exubérante de
mes jeunes cousins qui m'entraînaient au premier étage de la maison, vers les
chambres d'enfants où s'entassaient d'énormes piles de
« Semaine de Suzette », et
de Jules Verne en collections Rouge et OL
J'allais aussi goûter, le temps des vacances, aux charmes ennuyeux de la vie
familiale, aux longues tablées de vingt personnes, aux rituels des repas où mon
grand-père MoÏse officiait en grand prêtre, ma grand-mère restant debout,
entre la cuisineet la salle à manger.

Je les acceptais avec respect comme une fatalité quelque peu mystérieuse à
laquelle je ne ferais aucune allusion à mon retour dans 'mon entourage non juif,
comme si j'adoptais, par atavisme, un comportement de petite marrane.


Aujourd'hui, est-il possible de faire revivre ce passé en restant indifférente à
la situation présente. ? Nous recevons des informations angoissantes et incomplètes sur l'état actuel

 de ce beau pays, dont le destin persiste à offrir une composante tragique ...
S'abstenir de toutes considérations politiques et  cesser de rêver à nos lieux d’enfance ?
 Y retourner, tout simplement ?   Pas si simple !  

dimanche 19 août 2012

Réponse à nos fils


          Ecrire sur l’Algérie me paraît important, mais sûrement pas dans une perspective de nostalgie stérile.
 Cela répond plutôt à un besoin impérieux de me situer par rapport à ce pays courageux qui, entraîné dans la vaste et générale secousse de décolonisation, a fini par arracher, on sait à quel prix de part et d’autre, son indépendance sans être, hélas épargné pour autant par de nouveaux écueils.  
  Comment expliquer que ces communautés d’Algérie, autres que celles des  indigènes musulmans,  se soient soustraites spontanément à ces processus de réorganisation politique, puisque sans l’ombre d’un doute sur le bien fondé et l’urgence de leur départ, elles ont rejoint la France, fortes de leur condition de citoyens français, acquise près d’un siècle plus tôt ?
    De même que   les descendants de colons français, ou méditerranéens, surnommés « pieds-noirs », se sont sentis contraints d’abandonner rapidement leur pays, je pense à l’exode massif de l’été 1962 auquel, par  coïncidence, je me suis trouvée mêlée dans un train bondé qui partant de Marseille amenait à Paris une foule de rapatriés d’Algérie), nous, français de souche algérienne, n’avons pas davantage envisagé, à de très rares exceptions près, de rester au pays. Conscients des difficultés inéluctables qui se profilaient à l’horizon,traumatisés par les violences d’évènements qu’il a bien fallu nommer « guerre », nous trouvions opportun de rejoindre la chère France de nos livres d’école ..
        Quoi qu’il en soit de l’épopée « Pied-noir », je n’en fais pas partie, ayant par libre arbitre quitté Alger en 1952. Ma famille, loin de s’être implantée en Afrique du Nord autour des années 1830  était déjà présente à l’arrivée des français depuis des temps éloignés, sans doute, L’Algérie est donc notre terre ancestrale, nous y avons laissé les  maisons, les tombes, les vestiges de nos ancêtres. Son abandon sans retour peut ainsi apparaître comme une troublante et délibérée rupture de la longue chaîne des générations.    Rupture qu’il faut bien reconnaître comme telle pour aider nos enfants à se situer dans cette discontinuité  peu rassurante.
      Au nom de quels romantiques prétextes déciderait-on de ne plus y faire allusion, et même de n’y plus retourner, de ne pas superposer aux souvenirs idéalisés les images contemporaines d’une Algérie en mutation ?
      Peut-être est-il encore opportun d’y conduire les nôtres et de leur rappeler, sans inutile accent pathétique : « Voici les lieux où une longue lignée de vos ascendants a vécu, y compris vos grands-parents maternels et votre mère. »      Faut-il attendre que les tensions se dissipent pour accomplir ce nécessaire pèlerinage aux sources ?   
 A l’arrivée, nous n’avons plus la même patrie que nos frères d’outre -mer,
mais nous conservons une terre natale commune : l’Algérie.
                                                                                                               Paris Février 2001